Elle sentait sur ses parcelles de peau dévoilées l’effervescence des corps toujours en fleur, loin d’être inquiets de la fanaison, l’ébullition des cerveaux face à ce monstre de pixel signalant le  « game over » tant redouté. Alani se mêle à la foule, avance doucement, se moque gentiment de ceux qui n’ont manifestement jamais connu ce genre de bornes durant leur enfance, s’émeut devant les plus expérimentés. Comme ce petit frisé (Marvin), qui indique d’une voix experte le chemin à suivre à une autre âme égarée, évoque un easter egg peu connu pour les plébéiens des jeux vidéos, comme Alani. Comme cette personne assis à deux ou trois arcades de là (@viensviensviens), jouant au même jeu de cette même main experte. La brune, elle hésite d'abord, ça peut se ressentir dans ses pas foulant très aléatoirement le sol. Mais une fois leurs épaules éclairés par le même néon rouge, elle approche sa tête de l'écran, fait mine d'inspecter quelques secondes les mouvements des pixels par dessus l'épaule de l'autre, et finit par pointer du doigt les commandes. Elle sourit. « Si tu fais haut haut bas et croix, t'arrives sur un passage oublié. Un easter eggs première génération. » Alani n'avait aucun talent certain pour les jeux vidéos, mais par contre pour répéter mot pour mot les dires d'un autre pour se la péter devant quelqu'un qui lui avait tapé dans l'oeil, là, on pouvait compter sur elle.  « En vrai je suis la plus grande arnaque de tous les temps, j’ai piqué l’astuce au mec à côté. » Elle hausse les épaules en passant la main dans ses cheveux, une espièglerie certaine teintant son sourire.

Spoiler:

Tout son univers se résume à ça, l'écran noir qui clignote - réaction épileptique à sa médiocrité au jeu probablement - et les pixels verts qui débloquent, un peu comme dans sa tête parfois. C'est pas très grand, deux trois blocs et elle y arrive, au graal, victoire grand v, mais elle perd toujours Beth, elle s'y perd toujours. Trop concentrée sur sa drogue codée,  elle en oublierait presque les sensations, l'odeur un peu musquée de l'anxiété, quand on a l'impression d'avoir une guillotine au dessus de l'honneur. Pas de game over. Les gestes automatiques aussi, le pouce qui s'ankylose, l'anesthésie des autres sens, histoire de pas prêter attention aux gens qui parlent à côté. L'échappatoire. Les mots assurés d'une voix un peu sucrée la font sursauter, Bethsabée. Y'a une brune derrière, peau couleur néon, avec une ombre qui passe sur la courbe de ses pommettes hautes. Pas le temps de s'attarder, elle réfléchit pas Beth, pas pour un easter egg. Haut bas croix, passage oublié. Merde elle a raison, c'est un première génération. Elle passe, le mur s'écrase, la machine hurle de joie, y'a les lumières qui perdent le rythme.     

Winner
Winner
Winner 

« Oh yes yes YES ! » Beth se retourna, sourire sauvage collé au visage avec les yeux bleus brillants, comme des diamants. « J'irais bien embrasser le mec d'à côté alors mais il est trop loin donc j'me contenterai de fêter ma victoire avec la plus grande arnaque de cette salle. » Parce que ce jeu c'était un traître.  Comme tout les autres, à la base c'est juste une connaissance puis un ami, un amant, avec qui on passe toujours plus de temps et puis un jour on est accro'. « Beth. » Elle est belle l'arnaque quand même « Tu veux jouer ? »

Alani, lorsqu’elle laissait son regard parcourir la joie solaire qui se laissait doucement refléter par les yeux translucides de la belle, elle se disait qu’être une arnaque, ça en valait peut-être vraiment la peine. Qu’elle pourrait se cacher dix fois d’affilées derrière des masques s’il le fallait, rien que pour revoir ce moment de pureté intouchable. « Tu te "contenteras", rien que ça, t’as bien de la chance que le mec à côté soit mignon parce que je me serai presque vexée. », qu’elle dit, l’air faussement boudeur ; peut-être un énième masque pour attirer un peu l’attention de ce visage à l’innocence indécente, encadré de boucles anglaises qu’Alani devinait mordorées sans les néons rouges. « Alani. » Les mots, les noms n'avaient aucun sens ici, ou même dans cette prison où les corps fatigués et prêts à rendre l'âme reposaient, sûrement dans des lits d'hôpital ou à la maison à regarder des vieux téléfilms médiocres. Le regard qu'elles s'échangeaient en avait au moins mille fois plus. « Alors ça, faut pas me le demander deux fois. Je gagne quoi si j’arrive à aller au bout du jeu ? » Elle s'installe sur le siège à côté, ses yeux miroitant quelques secondes la lumière artificielle des pixels, les formes, les couleurs, les lettres. « Fais attention à ce que tu dis aussi, ça se trouve je suis la plus belle arnaque des arnaques, et j'suis en vrai une gameuse professionnelle triple championne du monde en Asie. Qui sait. » Alani hausse les épaules, en offrant un brin de malice à travers son regard à Beth, avant de réoffrir à ses yeux sa dose de pixels-néons virevoltants à travers l'écran.