Elle ne comptait plus ses soirées à San Juni, Alani ; ça la tuait, de se dire qu'elle avait fini par autant s'attacher à cet endroit, qu'elle avait trouvé dans les plaines aux mille couleurs du quartier nord un asile, dans le Tucker's une façon de diluer l'ennui, dans la grotte étoilée une façon d'offrir à ses yeux quelques lumières pour briller de nouveau. Comme avant. Elle avait repéré cette baraque, où les gens s'habillaient de vêtements flash et courts dans lesquels on pouvait humer cette liberté totale, une liberté qui faisait du bien. Ils virevoltaient dans tous les sens, à des hauteurs incroyables et défiaient les lois de la physique, c'était indécent et si attirant à la fois. De tous les voyages qu'elle a pu entreprendre, jamais Alani n'a jamais connu ce genre d'endroits, et à ce stade, jamais elle n'aurait cru faire une nouvelle expérience après ses soixante ans de vie. Elle enfourche ses rollers, à paillettes, s'avance timidement vers la piste, et reprend petit à petit son sens de la glisse qu'elle avait perdu depuis le temps. On pouvait voir une Alani voler sur la piste, se tenter à un déhanché un peu foireux et basique, et sans crier gare, bang ; il ne faut pas plus d'une seconde pour qu'elle s'emmêle dans ses pas et se retrouve rattrapée de justesse par cette personne, qui lui évite alors de chuter de la plus ridicule des manière. Oh wow j'suis vraiment désolée, j't'ai fait mal ? Alani elle sent presque des roses rouges en flammes fleurir sur ses pommettes, tandis qu'elle se relève sur ses patins plus ou moins difficilement. Elle passe rapidement sa main dans ses cheveux, se risquant parfois à croiser son regard, un sourire gêné qui se laisse voir dans les commissures de ses lèvres. Est-ce-que tu m'accorderais cette danse par hasard ?, qu'elle demande alors, en haussant les épaules. Elle laisse alors un plein sourire s'emparer de ses traits tout en tendant sa main vers son éventuel.le futur.e copilote.

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Il n'y a pas meilleure sensation que de se sentir libre de ses mouvements. Après toutes ces années d'existence, vivre ce renouveau est une chance inouïe. Comme je me le suis promis, je compte vivre comme dans le temps. Pas de morale de vieux sage, pas d'état d'âme. Ici, personne ne sait réellement qui je suis. Ici, personne ne peut me reprocher les erreurs du passé. Tout est nouveau, tout est beau. Tout est à faire. Pour cette énième expérience, je pense que monter sur des patins était une bonne idée. La piste en bondé, les rires se mêlent à la musique et aux bruits des roulettes. Je ne regrette pas mon choix.

Au fil du temps, je m'exerce à quelques figures. Parfois pitoyablement ratée. Je prenais mon élan pour en effectuer une autre, lorsque cette fille m'est rentrée dedans. On aurait dit un ralentit de film. J'ai eu le temps de voir la manière dont elles s'est emmêlée les jambes, comme si elle avait deux pieds gauche. Le rôle du mec galant qui sauve la demoiselle en détresse, c'est pour moi. Pour rester dans l'idée du film.

- Non ça va aller. Mais peut-être qu'avec trente kilos en plus, je serais mort.

Je ris. Parce qu'il vaut mieux en rire qu'en pleurer non? Et a en juger par ses joues rouges et son air embarrassé, je me dis que j'ai bien fais de sortir cette blague. A sa question, j'ai un moment de flottement. Jamais une femme ne m'avait invité à danser, ça avait toujours été moi qui faisait le premier pas. Mais puisque ici est un renouveau, je lui tend une main. Très théâtralement, je lui tend pour qu'elle me fasse un baise main.

- Uniquement si vous embrassez ma main.

Un autre rire m'échappe. J'ignore si elle est confuse, mais je profite de son silence pour l'entraîner sur la piste de danse.

- Je plaisante. C'est avec plaisir que je danserai avec toi.

Je lui lâche un clin d’œil et la tient fermement par la taille. Non seulement parce que cette proximité est agréable, mais aussi parce que je n'ai pas envie de revivre la chute de tout à l'heure.

« On est tous déjà à moitié morts de toute façon, donc trente kilos de plus trente kilos de moins. » Elle rit, encore une fois, elle a l’impression de ne faire que ça depuis le début de cette rencontre ; lui aussi de toute façon. Les deux héros de ce film de série Z étaient-ils en train de vivre le début de leur épopée amoureuse stéréotypée à mourir ? Les derniers mots d'Alani sont peut-être terriblement déplacés, elle n'avait aucune idée de la raison d'être de ce jeune garçon au visage constellé d'étoiles à San Junipero après tout. Mais elle n'a même plus le temps de regretter que d'une façon bien trop théâtrale et stéréotypé, il lui tend sa main, lui proposant une danse contre un baise-main. Elle hausse les sourcils de façon toute aussi faussement dramatique, elle sent presque le temps et la foule qui se fige tandis que les patins d'Alani continue doucement de reculer, mais ne le lâche pas du regard en riant - ça devient presque redondant. Il finit par accepter la danse, il s'autorise une main sur la taille. Elle pose ses deux bras sur ses épaules à lui ; cette scène de films à l'eau de rose à deux balles ferait glousser les plus cinéphiles de la salle. Un air de slow sur un fond de boogie, du haut d'une paire de patins. « Je suis donc tombée sur un grand romantique à ce que je vois ? » Alani se laisse entraîner dans ce flamenco qui n’avait rien d’endiablé mais tout d’un corps à corps, yeux dans les yeux ; il s’agissait plutôt des premiers pas plus que balbutiants de deux enfants apprenant à glisser sur les pistes en rollers aux premiers abords. Il lui lâche un clin d’œil. Alani n’était plus étonnée de rien maintenant, son voile de timidité des first small talks se laisse doucement tomber et piétiner par les autres danseurs, et elle lui rend accompagné d’un sourire.   En tout cas, bien tenté mais j'embrasserai ta main seulement si t'arrives à me porter en rollers comme dans cette scène de Dirty Dancing sans t'écrouler.

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